Les vieux s’ennuient… et l’ennui est encore plus profond lorsqu’il y a un rattachement quelque part. C’était bien le cas de ce grand-père qui cherchait dans cet après-midi d’automne, les derniers vestiges de son minuscule potager. La récolte avait été abondante malgré le peu de soin qu’il avait consacré à ses quelques plants de tomates. Or, tout d’un coup, il se rappelle que c’est mardi, jour tant recherché puisqu’il avait pris la douce habitude de visiter sa fille et ses petits-enfants. Ce rappel le fait sourire, un sourire différent, un sourire qui ne trahit pas le gain mais plutôt le calme intérieur qui surgit doucement lorsqu’on aime. Après quarante ans de mariage, est-il nécessaire de définir l’amour. Il sait que toute définition sera boiteuse. Peut-être l’amour c’est les grands gestes, et peut-être aussi que c’est les actes très discrets, un peu comme le beurre qui tartine le pain, du moins pour certains d’entre nous. Alors le grand-père fait une pause. Il ne cherchera pas à comprendre le sens de l’amour, il essayera de le vivre. Cette idée lui plût. Il comprit qu’un acte tangible est le vrai reflet de l’amour, et il s’est assuré d’acheter des petits pains frais pour ses petits-enfants. Le pain n’est-t-il pas le froment de la vie? Qui de nous n’aime pas le bon pain? Il était convaincu du bon choix qu’il fit et son choix a été très vite confirmé par les petits cris et le rire des trois petits enfants. Le thé fut servi. C’est la boisson des demi-dieux, puisque le vin s’affirme comme la boisson des dieux. Bacchus a déjà réclamé cette gloire. Nous avons toujours gardé un peu de paganisme en nous, et pourquoi pas, puisque dans la cité antique, le loisir était l’activité maîtresse. Les petits enfants riaient, jouaient et posaient des questions au grand-père. Les moments précieux passent vite, et la lassitude exigeait une sieste, et c’est ce que fit le grand-père. La petite fille fit un choix plus gourmand. Les deux bras suppliaient déjà la maman pour la soulever et la rapprocher de son sein. Pour la petite fille, le lait maternel était une sorte d’élixir, une récompense, une sieste comme celle du grand-père, mais plus douce et plus nourrissante. Ce rapprochement était sacré et rien ne pouvait alors déranger la petite fille. Les jeux ne l’attiraient plus et c’était le moment où elle se sentait le plus comblée.
Mais tout d’un coup, ce calme a été interrompu par la toux du grand-père. Il toussait dans son sommeil. La petite fille entendit la toux du grand-père et alors, elle fit un choix. Elle qui ne fait jamais de choix lorsqu’elle tête, elle fit un choix puisqu’elle interrompit son lien de bonheur, chercha son petit verre d’eau déjà placé sur la petite table et partit voir son grand-père. Mais le grand-père dormait. À petits pas, elle s’approcha de lui et resta immobile avec son petit verre à la main. Elle ne voulait pas le réveiller, simplement, elle veillait sur lui, prête à le soulager si la toux lui reprend.
Elle pouvait bien rester immobile et silencieuse…mais les anges ont une présence qu’on ne peut ignorer, on dit que les anges ne sont pas visibles à nos yeux, mais que notre cœur les perçoit. C’est alors que le cœur du grand-père palpita et ses yeux s’entrouvrirent. À ce moment, la petite fille tenait toujours le verre d’eau d’une main et de l’autre, elle toucha l’épaule du grand-père…le toucher d’un ange, et très doucement elle dit : «Baba… Mia a de l’eau pour Baba». Le grand-père sourit… Après tant d’années, il venait seulement de comprendre le sens de l’amour. Qui de nous, qui de nous peut donner tant d’amour avec un simple verre d’eau?